C’est officiel: Carlos Ghosn n’est plus le patron de Renault. Il a remis sa démission mercredi soir, 23 janvier 2018. Il est remplacé par l’ancien patron de Michelin, Jean-Dominique Senard, nommé président, et par Thierry Bolloré, nommé directeur.
Depuis près de vingt ans, Renault, c’était lui. Né au Brésil, élevé au Liban, ayant étudié dans les plus prestigieuses écoles parisiennes, Carlos Ghosn était un géant. Un patron d’industrie qui paradait dans les hautes sphères de l’industrie automobile, côtoyant des présidents et des ministres, passant sa vie dans des hôtel de luxe et vivant une vie faite de jet-set et de travail acharné.
Emporté par son goût du luxe, des belles maisons qu’ils possédait aux quatre coins du globe et par son train de vie – ah, son mariage «Marie Antoinette» en grandes pompes à Versailles… – il est aujourd’hui victime de son appétit de pouvoir et d’argent. Depuis hier soir, ce n’est plus qu’un prisonnier, enfermé à Tokyo, qui attend son jugement après s’être vu refusé par trois fois une mise en liberté conditionnelle.
Ironie du sort, pour un homme habitué aux tapis rouges et aux projecteurs, c’est à Davos, en plein Forum économique mondial, que le ministre des finances français Bruno Le Maire a annoncé la nouvelle en personne: depuis hier soir 23 janvier, le désormais ex-PDG de 64 ans a démissionné de son poste de dirigeant et d’administrateur de Renault. Il est remplacé au conseil d’administration par Jean-Dominique Senard, patron de Michelin,, qui est nommé nouveau président, et par Thierry Bolloré nommé au poste de CEO du Losange.
Arrêté à bord de son jet privé, le 19 novembre dernier, à son arrivée à l’aéroport d’Haneda, Carlos Ghosn n’a quitté qu’une seule fois les locaux de la prison, pour aller donner sa version des faits devant le juge. Il s’est déclaré innocent et injustement accusé de malversation financières et de non-déclaration de revenus. Partie plaignante, Nissan parle, elle, de dizaines de millions de dollars détournés et de dettes privées que Ghosn aurait fait supporter à l’entreprise japonaise. S’il était condamné, Carlos Ghosn risquerait plusieurs dizaines d’années de prison.
Il y a quelques mois encore, Ghosn reignait sur un empire automobile qui s’étendait de la Russie aux Etats-Unis et l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi était un acteur de référence sur le marché. En 2017, l’Alliance avait vendu 10,6 millions de véhicules, plus que Toyota ou le Groupe Volkswagen. Et c’est à Carlos Ghosn que le mérite en revenait. Appelé au chevet d’une compagnie Nissan au bord de la faillite, il avait su opérer un redressement spectaculaire. Mais le prix à payer en termes de licenciements et de disgrâces lui avait valu de solides inimitiés dans un Japon où les cadres ne goûtent que très modérément d’être dirigés par un étranger.
Et son règne n’avait pas été de tout repos. On se rappelle de la crise financière de 2008, qui avait entraîné une érosion spectaculaire des ventes et… une vague de suicides sans précédent au sein de la compagnie au Japon. Où la sinistre affaire d’espionnage interne de 2011 au cours de laquelle Ghosn n’avait pas hésité à sacrifier son bras droit Patrick Pelata, pour sauver sa tête. Ou ses incessantes confrontations avec le gouvernement français, propriétaire de 15% de Renault, qui lui reprochait ses prétentions salariales excessives (Ghosn touchait un salaire de Nissan ET un salaire de Renault…).
Reste que la tâche ne va pas être plus simple pour Senard et Bolloré. L’Alliance était la création, le «bébé» de Carlos Ghosn, taillée à sa mesure et dont il était la pièce maîtresse, l’axe de rotation autour duquel tout était articulé. On voit dès lors mal comment les nouveaux hommes forts s’y prendre pour travailler sereinement avec Nissan, vu le climat de tension existant actuellement entre Renault et son partenaire japonais, les différences culturelles et le fait que la compagnie tokyoïte entend désormais être dirigée par un patron nippon. Sans oublier l’état extrêmement tendu du marché automobile et la concurrence acharnée qui y règne. Trouver un nouvel équilibre pour le partenariat sera tout sauf chose aisée.
C’est peut-être bien l’Aliance, finalement, qui pâtira le plus des retombées de l’«Affaire Ghosn»…